Aube
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps
d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les
haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se
levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes
éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins: à la
cime argentée, je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras.
Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. À la grand'ville elle fuyait
parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les
quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec
ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et
l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
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Le fil directeur de
ce récit, c'est l'extension
progressive de la lumière. Le narrateur se promène à l'aube, un jour d'été.
La nuit domine encore (elle résiste, comme
l'indique la
métaphore militaire : "Les camps d'ombre ne quittaient pas la route
des bois") ; mais la nature commence à se réveiller sous les pas du promeneur.
Pendant qu'apparaissent faiblement les "blêmes éclats" des
premières
lueurs du jour, le narrateur entre en
communication avec une fleur ("une fleur qui me dit son nom"). Les
oiseaux s'éveillent à leur tour ("et les ailes se levèrent sans bruit").
La lumière atteint les parties hautes du paysage (la cime des
arbres, le sommet de la cascade) qui s'argentent ou blondissent sous l'effet des rayons. Traduit métaphoriquement, c'est l'apparition
d'une déesse ("je
reconnus la déesse"). La lumière s'étale progressivement sur la plaine et sur les
toits de la ville ("elle fuyait parmi les clochers et les
dômes"), le coq chante ("je l'ai dénoncée au coq") : on
assiste à une sorte de chasse érotique sur les traces de la déesse.
L'enfant rattrape enfin l'aube qui fuit "en haut de
la route, prés d'un bois de lauriers" et il tente de la prendre dans ses
bras. Mais ce moment de l'étreinte est un peu comme un évanouissement : c'est
la chute "au bas du bois".
À
travers l'énergie
déployée par l'enfant, double de l'auteur,
l'expérience poétique (visionnaire ou onirique) apparaît avant tout comme
un travail, une "entreprise" ("la première entreprise fut
..."), une activité consciente de l'imagination, s'opérant à
travers l'écriture ("l'hallucination des mots", dit Rimbaud
dans Alchimie du verbe).
C'est l'enfant qui par son action fait lever le jour. C'est sa marche qui réveille
la nature endormie. Il a le don de comprendre le langage des
fleurs (le
poète prête un langage à la fleur comme il donna jadis une couleur aux
voyelles, le mot rappelle la pratique raisonnée de l'hallucination qui fait
partie du programme du "voyant"). C'est encore lui qui dévoile la déesse
(c'est à dire à la fois qui la dénude et qui l'annonce) en levant "un à
un ses voiles", "en agitant ses
bras", puis en faisant chanter le coq. C'est lui qui la "chasse" à travers la ville, provoquant l'extension
du jour au détriment de la nuit jusqu'à sa victoire finale, à "midi". Doté du pouvoir de commander à la nature,
il se comporte comme s'il était lui-même le chef d'orchestre, l'ordonnateur du fabuleux spectacle de
l'aube.
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