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Association Culturelle Arménienne de Marne-la-Vallée (France)

Arménie - Hymne national

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 --- Cliquer pour agrandir L'histoire en héritage...
Luigi Mercantini, écrivain italien, écrit en 1857 la « Spigolatrice de Sapri », (la glaneuse de Sapri), en hommage à Carlo Pisacane, patriote italien, mort la même année avec ses hommes dans une expédition à Sapri. Cette poésie épique, rapidement célèbre en Italie et dans toute l'Europe, sera traduite en russe et publiée dès 1859.
Michaël Nalbandian (1829-1866), journaliste engagé et poète, proche des milieux révolutionnaires russes, trouve dans ce texte les idées qui s'inscrivent dans la lutte de libération des Arméniens du Caucase et de l'Empire Ottoman. Il écrit en 1859 « Le Chant de la fille Italienne » publié en 1861 par le journal Hissussapail et repris la même année par le journal Merou.
Le texte, signé Goms Emmanuel, pseudonyme de M. Nalbandian, fait référence à la lutte de libération de l'Italie contre l'occupation autrichienne. A la fin de ce texte apparaît une référence à Yériché, historien de la bataille d'Avaraïr (451), une allusion que seuls les Arméniens pouvaient comprendre. Ainsi, M. Nalbandian établit-il un lien entre les héros martyrs de Sapri et ceux du Vartananc. Dans les deux cas, un petit groupe de volontaires menés par leur chef, est parti vers la mort pour l'idéal de la liberté.
Le texte est donc un appel codé à l'engagement de son peuple, spécialement des femmes, à la libération de l'Arménie du joug ottoman et de l'Empire russe. Nalbandian, arrêté en 1862 à Saint-Petersbourg, mourra en 1866 comme ses héros pour l'idéal de la liberté !
A la lecture des deux poèmes, on pourrait penser que le personnage de « la glaneuse de Sapri » est « l'Italienne » citée dans le titre du chant de M. Nalbandian. Pas sûr ! Durant son séjour en Italie, l'auteur a été très proche d'une jeune femme peintre de Venise ; son portrait, anonyme, ainsi qu'une correspondance, sont conservés dans les archives de l'écrivain, en Arménie.

K. Kara-Mourza, un musicien engagé
Un jeune musicien quasi autodidacte, Kristaphor Kara-Mourza, proche de la famille de M. Nalbandian, va donner au poème un destin national.
Le vendredi 15 mars 1885, il fait ses débuts en concert, introduisant ainsi la tradition de chant choral à plusieurs voix dans l'histoire de la musique arménienne.
Le programme commence par Le chant de l'Italienne de « Goms Emmanuel ». La soirée a lieu au théâtre Arzrouni de Tiflis.
Son succès dépasse le cadre artistique. Kara-Mourza est un véritable « activiste » dans le mouvement de réveil du nationalisme arménien. Il compose des chants sur les textes d'auteurs contemporains comme Alichan, Kamar-Katiba et Bechiktachlian, qui l'encouragent dans sa démarche militante. Ce concert triomphal sera suivi d'autres dans tout le Caucase, en Crimée et Constantinople. Le « Chant de la fille italienne » est ainsi rapidement connu dans toutes les communautés arméniennes.
Les Yerkarans (livres de chants) reprennent ces nouveaux chants et contribuent à leur diffusion. Comme pour le concert de 1885, les auteurs du « Chant de la fille italienne » ne sont jamais cités. M. Nalbandian ayant lui-même signé ses oeuvres sous un pseudonyme, Kara-Mourza a aussi jugé plus prudent de ne pas signer son nouveau chant.

Comme M. Nalbandian, il sera arrêté à Moscou en 1898, puis exilé à Petrovsk pour avoir participé à des réunions avec des étudiants révolutionnaires.
Après la mort de Kara-Mourza, parait à Tiflis en 1903, un recueil de ses mélodies arrangées pour piano par Léonid Knina, où on trouve Le Chant de la fille italienne. L'année suivante, un concert donné à Bakou débute aussi par ce chant. Kara-Mourza est cité. Le nom de M. Nalbandian apparaîtra pour la première fois dans un recueil de chants arméniens édité à Saint-Petersbourg, en 1906, 40 ans après sa mort.

Le chant de la fille italienne
Dans les livres de chants arméniens, le Chant de la fille italienne est partout présent. Pour faciliter la recherche du lecteur, la première phrase des chants était souvent reprise à la fin du recueil. Le Chant de la fille italienne devient ainsi « Mer Hayrénik tejvar andèr ».
En France, le titre Mer Hayrénik apparaît pour la première fois à Paris dans une manifestation « Hommage à l'Arménie » aujourd'hui historique, placée sous la présidence de Paul Deschanel, président du Parlement et membre de l'Académie française, Paul Painlevé, ministre de l'Instruction publique et Anatole France, le grand écrivain, président de l'association des amitiés franco-étrangères. Elle est organisée par l'association des amitiés franco-étrangères le 9 avril 1916 au grand amphithéâtre de la Sorbonne. Après le discours de ce dernier, une chorale française sous la direction de Vincent d'Indy, célèbre compositeur et chef d'orchestre, chante Mer Hayrénik, « Chant patriotique arménien ». Les deux premières strophes figurent sur le programme :
« Notre patrie, malheureuse, sans défense, piétinée par l'ennemi, appelle maintenant ses fils pour qu'ils viennent la venger. Notre patrie, depuis tant d'années ligotée de chaînes, par le sang sacré de ses fils vaillants sera délivrée. »
L'émotion est immense, nous sommes en pleine guerre mondiale, mais aussi en plein génocide...

La musique
Injustement, Kara-Mourza n'a jamais été cité comme l'auteur du chant. C'est la conséquence de sa prudence légitime vis-à-vis des autorités russes suite à l'arrestation de M. Nalbandian. Il est temps que l'histoire rétablisse la vérité !
La première publication sous le titre de Mer Hayrénik date de 1919 à Constantinople. L'arrangement signé Parsekh Ganatch(ian) se trouve en tête du volume 1 d'une série de quatre recueils, « Goussan », édités par les élèves de Komitas. Cette version, très diffusée en diaspora, a laissé penser que P. Ganatchian était l'auteur de la musique.
La mélodie originale sera aussi éditée avec des petites variantes musicales ou d'autres paroles. Il existe également deux autres versions pour chœur sur une autre mélodie. A cause de son premier titre, les détracteurs de Mer Hayrénik lui reprochent à tort d'être d'origine italienne. Ce chant, très simple, est constitué de deux cellules mélodiques qui reviennent trois fois chacune. On pourrait les retrouver dans la liturgie arménienne, sachant que Kara-Mourza connaissait bien la messe.

« Mer Hayrénik » hymne national
Le 1er août 1918, journée historique pour le peuple arménien, est la date d'ouverture du Parlement à Erevan, capitale de la nouvelle République d'Arménie. Le drapeau tricolore arménien est hissé au son de « Mer Hayrénik », joué par une fanfare militaire. Le chant des héros est, de ce fait, promu « hymne national ». Il reste à préciser quand, comment, et par quelle instance cette décision a été prise. Deux ans plus tard, le drapeau tricolore ainsi que le nouvel hymne connaîtront l'exil ou la clandestinité...
L'histoire se répète en 1990. Le compositeur et chef d'orchestre Loris Tchiknavorian, installé en Arménie, peu avant l'indépendance, impose « Mer Hayrénik » au début de tous les concerts de l'orchestre philharmonique d'Arménie et le Hayr Mer (Notre Père) à la fin. La Nation et l'Eglise demeurent inséparables...
Mer Hayrénik représente de nouveau le pays ; mais rapidement, des voix s'élèvent pour contester ce choix avec des raisons plus ou moins discutables :
a) L'hymne n'est pas assez représentatif de la renaissance d'une nation, sa mélodie n'est pas assez dynamique, les paroles trop défaitistes (elles ont pourtant été réactualisées). « Notre Patrie malheureuse et sans protecteur foulée aux pieds par nos ennemis », est devenue « Notre Patrie, libre indépendante, qui a vécu à travers les siècles, appelée par ses enfants Arménie libre et indépendante. »
b) Ce n'est pas une mélodie de « style arménien », ce serait un chant italien !
c) L'hymne de la précédente République écrit par le compositeur Aram Khatchatourian est bien meilleur, changeons les paroles et gardons la mélodie comme l'ont fait les Russes ! Derrière tout cela, un non-dit : Mer Hayrénik est, à tort, considéré comme l'hymne du parti Tachnag. Il est vrai que c'est bien ce parti qui l'a maintenu en diaspora, contre vents et marées, durant 70 années...
A l'issue d'un concours organisé pour le choix d'un nouvel hymne, 5 œuvres sont retenues sur les 85 proposées. Surprise ! La commission formée pour proposer un choix annonce qu'elle a voté à bulletin secret en faveur d'une œuvre composée par Aram Khatchatourian en rejetant toutes les œuvres proposées. (En cas d'approbation parle gouvernement et le Parlement, un autre concours devra être organisé pour le choix des paroles).

Interdit puis réhabilité
Septembre 2006, Loris Tchiknavorian lance un appel en faveur du maintien de Mer Hayrénik, il cite Karekine Nejdé :« Les volontaires arméniens partaient vers la mort au combat en chantant la dernière strophe "La mort est partout la même...", permettant l'indépendance de 1918 ! » Dans son argumentation, il réfute le fait que ce soit un chant italien et s'étonne que jamais personne en Italie n'ait revendiqué la mélodie ou les paroles. (Nous avons effectivement fait des recherches sans aucun résultat).
Il lance un appel aux compositeurs pour qu'ils retirent leur candidature du concours, citant la Bible : « Judas a trahi le Christ pour trente pièces d'argent et nous, nous voulons enterrer Mer Hayrénik pour 70 000 drams, piétinant ainsi l'honneur des milliers de Fedayin partis vers la mort en chantant cet hymne... »
Le 29 novembre 2006, l'Assemblée nationale approuve un texte controversé du gouvernement ouvrant ainsi la voie à un changement d'hymne national.
Le 6 décembre, Mer Hayrénik cesse d'être l'hymne national, pour être finalement provisoirement restauré le 27 décembre. Conçu dans l'anonymat par deux patriotes, interdit 70 ans dans la mère patrie, le chant des héros de Van et de Sardarabad, attend le verdict des nouveaux maîtres de l'Arménie.

Article d'Alexandre Siranossian

La glaneuse de Sapri
Ils étaient trois cents, ils étaient jeunes et forts
Et ils sont morts !

Ce matin-là, je m'en allais glaner
Lorsque j'ai vu, approchant au milieu de la mer, un bateau à vapeur :
Il arborait un drapeau tricolore.
Le bateau s'est arrêté un instant au large de l'île de Ponza.
Il s'est avancé pour accoster.
les hommes ont débarqué en armes,
mais ils ne nous ont pas attaqués.

Ils étaient armés, mais sans agressivité,
Ils se sont accroupis pour embrasser le rivage
Un par un, j'ai regardé leur visage :
Tous ! Ils avaient une larme et un sourire !
On les disait voleurs (malandrins) sortis de leur tanière,
Mais ils n'ont pas dérobé la moindre miche de pain !
J'ai entendu monter un seul
« Nous sommes venus mourir pour notre terre ! »

Marchait devant eux un jeune homme aux yeux bleus et cheveux d'or.
Je me fis hardie et le prenant par la main, je lui demandai :
« Où vas-tu, beau capitaine ?»
Il me regarda puis il me répondit :
« 0 ma sœur,
Je vais mourir pour ma Belle Patrie ! »
Je me sentis trembler de tout mon être Au point que je ne pus lui dire :
« Que le Seigneur te vienne en aide ! »

Ce jour-là, je n'ai plus pensé à glaner
Et derrière eux, je me suis mise à marcher.
Par deux fois, ils se sont affrontés aux soldats ;
Et, à chaque fois, ils ont perdu des armes;
Mais quand ils arrivèrent devant les murs de Certosa les tambours se mirent à rouler et sonner les trompettes !
et sur eux s'abattit un déluge de feu, dans la fumée, au milieu des flammes, par milliers !

Ils étaient trois cents
qui ne voulaient pas fuir,
Et paraissaient trois mille qui voulaient mourir.
Mais qui voulaient mourir, le fer à la main !
Devant eux, le sol se couvrait de sang
Tant que je les ai vu combattre, j'ai prié pour eux,
Mais vint le moment où ils furent moins nombreux...
Et, je ne pus distinguer plus avant, au milieu d'eux,
les yeux bleu d'azur et les cheveux couleur d'or du beau capitaine !

Le chant de la jeune fille italienne
Notre patrie, malheureuse et sans protecteur, foulée aux pieds par nos ennemis,
appelle maintenant ses fils pour la venger et la libérer de toute haine et de tout ressentiment. Notre patrie enchaînée, depuis des décennies captive, va se libérer grâce au sang de ses valeureux fils. Voici pour toi, mon frère, un drapeau que j'ai cousu de mes mains.
Des nuits durant je n'ai pas dormi, je l'ai lavé de mes larmes.
Contemple-le, avec ses trois couleurs, notre symbole sacré,
qu'il flamboie à la face de l'ennemi et que s'effondre le fier titan.
Par tendresse pour toi,
j'ai accompli tout ce qu'une femme sans force peut faire pour aider son frère en guerre.
Voici le fruit de mon travail, voici un drapeau.
Vite, enfourche ton cheval tel un brave, va sauver ta patrie dans un combat acharné.
Partout la mort est une.
Chaque homme ne meurt qu'une fois, mais heureux est celui qui se sacrifie pour la liberté de sa nation. Va mon frère, que Dieu soit ton espérance, que l'amour de la nation te soutienne.
Va, et même si je ne peux te suivre, que mon âme t'accompagne.
Va, meurs en brave et que l'ennemi ne puisse te connaître dans la retraite,
qu'il ne lui soit pas donné de dire que l'Italien est méprisable.
Ayant parlé, la jeune femme donna le drapeau à son frère.
Il était de soie et de belle facture, trois couleurs s'en détachaient.
Le frère le prit, ayant salué sa sœur bien-aimée,
il prit ses armes, son épée et son fusil et enfourcha son cheval bai.
L'interpellant, le courageux adolescent lui dit :
au revoir, ma petite sœur, toi qui m'es si chère, toute l'armée italienne verra ce drapeau.
Il est sacré pour moi, oint et consacré par les larmes. Tu me l'as confié tel un mémorial dédié à la patrie. Si je meurs, ne me pleure pas.
Sache que j'ai entraîné avec moi vers le royaume de la mort de nombreux ennemis.
Ayant parlé, il rejoint la parade, face aux Autrichiens, afin d'arracher pour l'éternité,
au prix de son sang, la liberté de l'Italie.
Ô, mon cœur se brise en voyant un tel amour
envers une patrie aussi malheureuse, qui fut ainsi asservie.
Si au moins la moitié de la moitié de ces sentiments, pouvait se révéler dans notre nation ...
Mais nos femmes ... Où est Yéghiché ? Où sont nos « femmes si délicates »
Ô, les sanglots m'étreignent,
je ne peux plus prononcer une seule parole.
Non, l'Italie n'est pas méprisable puisque les femmes y sont ainsi.

Traduction de Michaël Nalbandian

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