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Lexique des termes littéraires 

du site Lettres.org

Rimbaud, le poète (accueil)  > Glossaire stylistique

Alinéa
ALLÉGORIE
ALLITÉRATION
ANALOGIE

ANAPHORE
ASSONANCE
ASYNDÈTE
CÉSURE

CHANSON

CHUTE
Clausule
Comparaison
Déictiques
Démonstratifs

ELLIPSE
Facule discursive

JEU DE MOTS

HYPALLAGE

HYPERBOLE
HYPOTYPOSE
INCIDENTE

M
étaphore
MÉTONYMIE

OXYMORE
PARAGRAPHE
PARALLÉLISME
Parataxe
PARODIE
Pastiche
POÈME EN PROSE

Pointe
Polysyndète
PRÉPOSITION

RIME
RIME CONSONANTIQUE
RYTHME (PROSE)
SONNET
STYLE ORAL
SYNECDOQUE
SYNESTHÉSIE
TIRET
VERS
VERS LIBRE
Verset

ZEUGMA

ANAPHORE : Répétition du même mot ou groupe de mots en tête des phrases ou membres de phrases.  

     L'anaphore est un procédé d'insistance sémantique et de création rythmique, que Rimbaud utilise fréquemment. "Le Bateau ivre", par exemple, est largement structuré par l'anaphore des verbes à la première personne qui contribue à la dimension épique du poème : 

Je sais les cieux crevant en éclairs [...] ; 
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir ! [...] ; 
J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques, [...] ;
J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, [...] ;
J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries 
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs, [...] ;
J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides [...] ; 
J'ai vu fermenter les marais énormes, [...] ; etc.

Dans certaines de ses illuminations, Rimbaud exploite davantage encore cette ressource rhétorique qui lui procure une sorte de substitut à la périodicité du vers, comme l'a bien montré Michel Murat.  

    Michel Murat (L’Art de Rimbaud, Corti, 2002, p.327) met en relief le rôle de l’anaphore dans le poème en prose : « L’anaphore est un facteur fondamental de poétisation dans le poème en prose. C’est par ce moyen que, dans les formes prototypiques, « ballades » [à la manière d’Aloysius Bertrand dans Gaspard de la Nuit] ou pseudo-traductions [à la manière de Gérard de Nerval dans ses transcriptions des Chansons du Valois], le texte supplée à la périodicité du vers : la position initiale est en effet mieux repérable lorsque la longueur du segment devient aléatoire. Lorsque l’anaphore coïncide avec le découpage d’ensemble du poème, la visibilité de la structure s’accroît du fait de la justification, qui aligne du côté gauche les éléments parallèles. Pour peu qu’elle soit confortée par des équivalences syntaxiques, elle tend vers la forme du couplet. Le procédé, dominant chez Bertrand, est repris dans les doublets de Baudelaire, en particulier au moment où les deux versions [en prose et en en vers d’un même poème] dialoguent en paraphrase :

Dans l’océan de ta chevelure [...]
Dans les caresses de ta chevelure [...]
Dans l’ardent foyer de ta chevelure  [...] 

     Cependant, les textes plus tardifs du Spleen de Paris, qui penchent du côté de la prose, l’abandonnent presque entièrement.
     Les Illuminations remettent l’anaphore au premier plan ; mais toute référence au couplet de prose [comme chez Aloysius Bertrand] a disparu. »

Les anaphores rimbaldiennes sont innombrables, mais nulle part aussi systématiques que dans Enfance III et IV :  

 III


     Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
     Il y a une horloge qui ne sonne pas.
     Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
     Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
     Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.
     Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois.
     Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.

IV

     Je suis le saint, en prière sur la terrasse, - comme les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer de Palestine.
     Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
     Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant.
     Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet, suivant l'allée dont le front touche le ciel.
     Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.

 

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Bibliographie

Zbigniew Naliwajek, "L'anaphore dans Enfance III", Lectures de Rimbaud, Revue de l'Université de Bruxelles, 1982, p.129-139.
Michel Murat,
L’art de Rimbaud, Corti, 2002.