Chapitres récents
Chapitre 01 : La Voie
Illustration de Micheline Lo Se déployant comme une hallucination de vapeur le geyser lui a bâti un champignon improbable s'étalant squattant l'espace il module de gros flocons qui vibrent avec l'air s'enflent jusqu'à participer d'un temple surnaturel agencement de volutes blanches glissant les unes sur les autres c'est une éruption s'entortillant en tourbillons crémeux gonflant puis retombant en lourds rouleaux sur le capot de sa voiture et son corps à lui pétrifié dans l'habitacle soutient sa tête tendue à la limite du cou elle ouvre la bouche pour crier jurer sa rage mais son souffle hésite sur les lèvres ses mains s'accrochent au volant pour ne pas chavirer et son torse bascule en arrière se cale profondément dans le siège car ses yeux en s'écarquillant ont laissé leur regard se perdre à travers les galeries et les nefs qui creusent le pied du cèpe brumeux et se troubler en suivant les filaments qui s'entrecroisent s'effilochent se rejoignent dansent moelleusement enveloppent la voiture lorsque l'urgence de sortir de cette caverne lui fait lancer la main vers la portière les doigts capturent la poignée en tâtent le galbe et pareils à un coquillage se fermant sur sa proie ils en épousent le métal et le pressent jusqu’à ce que la porte s’écarte par l'entrebâillement ses orteils plongent au sol d'une détente sèche ses jambes le propulsent au dehors il s'ébroue fait trois pas puis se fige à l'avant là où la vapeur met en scène la démission de sa guimbarde à l'égal d'un événement qui touche au sublime elle développe des nuages opulents tournoyants qui l’assombrissent et le désespèrent car cela faisait déjà des heures que son impatience était à vif tandis qu'il se frayait un chemin dans la lumière fade ou scintillante quelquefois éblouissante mais toujours nourrissant exclusivement la frustration de son regard sans jamais abreuver sa soif d'indices lorsqu'il errait paumé par monts et par vaux répandant autour de lui la fumée âcre et les rugissements du moteur au long de cette quête de la plage de son enfance aussi insaisissable que le Graal cabotant de cul-de-sac en cul-de-sac suivant les contours d'une réplique de côte lui en interdisant l'accès il progressait à tâtons débusquant parfois d’illusoires grèves qui ne pouvaient lui fourguer cet émoi à tout casser des lieux d’enfance retrouvés quand il ne s'égarait pas dans l'arrière-pays passant d'un coteau à l'autre traversant indistinctement futaies hérissées et pâturages nappant la terre jusqu'à l'horizon et alors qu'il cherchait le mât d'un bateau son regard éberlué croise cette colonne à la proue du capot elle l’emplit de confusion explose de conserve avec son courroux il redresse la tête sonde les massifs d'embruns bouclés taillés en coupoles et corolles lorsque le vent lui rapporte aux oreilles un bruit ténu ce pourrait être une simple irisation de l'aubade du feuillage et du canon des criquets mais la rumeur lointaine l'intrigue le bouleverse des profondeurs magmatiques des tripes l'émotion le gagne un frisson lui monte à la tête puis descend jusqu'aux pieds y accumule une énergie ardente elle remonte dans ses jambes l'érige et ses poumons s’ouvrent comme s'il voulait prendre un envol son cou ondulant s'étire en portant sa tête haut au-dessus des fourrés et lui ainsi tendu déployé il absorbe l'entour s'emplissant de l'air de la lumière et du bruit il est delta mer ou océan cette chose où tout vient se jeter les sons menus qui imprègnent l'espace d'ondes élastiques s'engouffrent dans ses pavillons mobilisant son appareil auditif excitant l'organe de Corti ils y créent des multitudes de différences de potentiel et tout ce bordel électrique qui parcourt les voies afférentes traverse les noyaux olivaires et cochléaires et d'autres tubercules encore finissant sa course en feu d'artifice éclatant sur la voûte du cortex le sabbat neuronal génère des réminiscences en cascade dans sa mémoire qui déroule les images d'une chenille indistincte au loin s'approchant soufflant comme un dragon c'est une locomotive à vapeur elle traverse majestueuse le paysage autour de lui les moustiques les fourmis s'émeuvent de ce bruit et rejoignant les insectes dans leur agitation il escalade allègrement le remblai découvre le train dont l’approche l’assourdit et plaquant les mains contre ses oreilles se tordant un peu pour éviter la nuée des escarbilles qui caracoleraient au-dessus de sa tête il reconnaît la voie ferrée qui signe de manière unique le paysage de ses souvenirs se plissant jusqu'à la côte les vallons s'enchaînent des deux côtés du panache torsadé laissé par la locomotive et tout à côté il peut voir la route couler vers la mer et la plage
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Chapitre 02 : Le Bateau-Aquarium
Illustration de Micheline Lo Il n'avait pu manquer ni l'immensité rouge éclatante de la coque garnie de hublots cuivrés ni au-dessus d'elle gonflée par le vent la grand-voile qui faseyait fantastique et son regard s'était ébloui en suivant les mouettes qui faisaient au vaisseau cent dais blancs scintillants disloqués l'instant d'après en mille pirouettes cinglant l'air d’un ballet perpétuel s'échappant disparaissant derrière cette copie de cange égyptienne aux mensurations de sphinx qui au lieu de baigner dans la mer était incrustée dans un golfe en ciment bleu turquin au beau milieu des sables le bateau tout de brique et de béton chevauchait la dune depuis sa poupe en surplomb de la route jusqu'à sa proue arrêtée à mi-parcours de la plage et donnait au rivage un reflet de miroir halluciné car la mer au-delà était vide dépouillée jusqu'à l'horizon et la cange lui faisait face stagnant minérale à vingt mètres de l'eau aussi toutes les voitures s'arrêtaient-elles au moins un instant n'importe qui et tout le monde en descendait en clamant son étonnement devant la construction débordant sur la plage dégagée à cet endroit comme si le sable dupé par l'esbroufe du faux navire se préparait à ce qu'un jour imprévisible se réveillant d'un sommeil sans âge l'embarcation se désenchâsse et le tranche profondément jusqu'à l'eau pour aller défier les maelströms d’océans indomptables et lorsqu'il joignit son corps aux visiteurs de la cange le souvenir de la panne n'était plus que brume il avait tiré d'embarras sa voiture en un tournemain de telle sorte qu'elle lui avait offert un doux trajet de croisière et tandis que la route s'était séparée de la voie ferrée qui décrivait un large demi-cercle afin de contourner les hauteurs il avait pu mater depuis le belvédère les splendeurs turquoise de l'eau puis plus bas avait traversé la ville rejoint la digue et pris en pleine figure la virulence de la lumière se brisant sur l'écume alors que l'air roulait sur le pare-brise coulait par les côtés s'engouffrait raclant son visage asséchant ses lèvres quand son regard crapahutant sur les contorsions de la mer fut soudain rappelé à la route c'est-à-dire qu'il ne put échapper à l'attraction du bateau éveillant en lui un sentiment d'urgence qui le précipita parmi l'amas de visiteurs en approchant ils observaient les banderoles qui descendaient depuis le sommet du grand mât jusqu'à la poupe et pareillement jusqu'à la proue des drapeaux vantaient en lettres jaunes sur fond bleu le Bateau-Aquarium et ses baleines blanches et ses squales redoutables et encore ses fresques marines et ses chambres avec vue sur les paysages époustouflants des flots et lui mêla ses pas à ceux de la foule convergeant vers la falaise de la coque en suivant l'un et l'autre affluent de béton jusqu'au golfe artificiel duquel émergeait le bateau et il y marqua une pause avant de passer l'arche qui ouvrait le flanc à hauteur de la ligne de flottaison virtuelle alors dégageant son corps de la cohue ses pieds l'emmenèrent d'un pas décidé par les chemins de service ils lui firent emprunter les couloirs menant à cette suite dont la souvenance lui faisait fondre le coeur troublant son sang portant l'écho de son excitation jusqu'aux extrémités de son bras serrant la clef dans sa poche l'en extrayant et la poussant doucement dans la serrure sa main gauche déploya ses doigts et la porte crailla puis la pièce s'offrit avec sa même table vert olive ses mêmes trois chaises acajou et sa même cuisinière à l'émail jaune clair inaltéré par le temps aux murs les papiers peints avaient gardé leur fraîcheur de carte postale donnant à contempler par morceaux successifs les ports de Shanghai Vancouver Lagos Barranquilla et d'autres encore sous leurs plus beaux atours de ciels d'aubes soyeuses conférant au lieu cette allure de cocon absolu qui le combla derechef en s'asseyant à côté du fourneau par grandes inspirations il s'emplit de l'haleine de la mer filtrant par le hublot qui ouvrait la cuisine sur le paysage salé moiré et d'un coup qui le précipita trente-cinq ans en arrière il retrouva l'évocation du corps de celle qui lui faisait tout oublier ici même quand à l'heure du déjeuner le parfum des pâtes aux champignons peuplait l'air de la pièce et que ce signal olfactif annonçait le repas et qu'alors le nourrisson qu'il était déléguait à ses mains tout pouvoir sur la boustifaille sans prêter attention à ses doigts plongés dans la bouillie son regard montait lentement tournoyait suivait de grands cercles autour du hublot paraissant s'absorber un temps dans des considérations métaphysiques scrutant la grandeur des nuages allongés devant lui puis d'un coup tel le faucon fendait l'air descendait la rivière des cheveux et planant envoûté gagné par une délectation irrépressible il contemplait l'évidence des deux rondeurs saillant dans l'échancrure du chemisier et s'accrochait aux deux pics qui avaient pour lui l'ampleur de montagnes fabuleuses débordant comme une invitation et pour l'étonner et le ravir tous les jours il y avait encore coulant entre les deux éminences ces mailles éclatantes d'un collier défilant à la queue leu leu sur la surface de la peau tenant comme une enseigne la médaille où il pouvait voir
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