Bach et Chostakovitch : transcendance et pouvoir salvateur de l’art, avec l’ensemble G.A.P.

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Salvation. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Sonate en sol BWV 1021. Prélude et Fugue en ré mineur BWV 875. Extrait des cantates Ich bin in mir vergnügt BWV 204, Ach Gott, wie manches Herzeleid BWV 58, Komm, du süsse Todesstunde BWV 161, Eine feste Burg ist unser Gott BWV 80, Gott, wie dein Name, so ist auch dein Ruhm BWV 171, O holder Tag, erwünschte Zeit BWV 210, Herr Gott, Beherrscher aller Dings BWV 120a. Dimitri Chostakovitch (1906-975) : Trio avec piano no 1 en ut mineur Op. 8. Prélude et Fugue en ré majeur Op. 87. Romances sur des poèmes d’Alexandre Blok Op. 127. Dorothee Mields, soprano. G.A.P. Ensemble. Emilio Percan, violon. Oriol Aymat Fusté, violoncelle. Luca Quintavalle, clavecin, orgue, piano. Juin 2023. Livret en anglais (traductions en italien, allemand, et texte des chants disponibles sur le site de l’éditeur). TT 79’09. Brilliant 97280

Identité musicale

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La récente disparition de Bernard Pivot a fait revivre des souvenirs qui n’étaient pas nécessairement littéraires : chaque vendredi soir, le Concerto pour piano n°1 de Rachmaninov servait d’introduction à Apostrophes, qui restera l’une des plus belles émissions culturelles à la télévision. Ce générique que nous avons entendu plusieurs centaines de fois a donné au « petit frère » des concertos de Rachmaninov une notoriété que seuls le deuxième et le troisième avaient acquises. Notoriété différente, basée sur un court extrait, notoriété dans les mémoires, chacun reconnaissant d’emblée cette musique, généralement sans en connaître l’identité. Ce qui est le sort de la plupart des génériques, à commencer par celui de l’UER, le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier (pour être plus précis l’un de ses six Te Deum) dont la brillante carrière internationale de générique à la télévision publique débuta en 1953 avec le couronnement de la reine Elizabeth II. Plus tard, il allait connaître la gloire comme prélude à la plupart des retransmissions des grands évènements européens. Mais qui en connaissait alors l’identité ? Carl de Nys venait juste de l’exhumer et il n’y avait qu’un seul enregistrement sur le marché.

On peut se demander ce qui fait le succès d’un générique. Il doit en principe être en relation avec le sujet de l’émission, une sorte de mise en condition. Mais pas toujours. En dehors du goût personnel du producteur, quel lien trouver entre La Fileuse de Mendelssohn et Le Masque et la plume ? ou entre la Symphonie du Nouveau monde et Santé à la une ? Dans un cas comme dans l’autre, c’est la notoriété de la musique qui est mise au service de l’émission. Inversement, le générique des Dossiers de l’écran (Spirituals for orchestra de Morton Gould) aurait pu sortir son compositeur de l’anonymat. Mais c’était davantage un effet qui était recherché et non la mémorisation d’une musique associée à l’émission. On retrouve la même démarche avec Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, autrefois générique du journal de La Cinq. À l’époque, cette musique était indissociable du film de Stanley Kubrick et, pour la majorité des téléspectateurs, ce n’était pas une œuvre de Richard Strauss mais simplement la musique de 2001 Odyssée de l’espace. Robert Hersant, alors actionnaire majoritaire de la chaîne, avait lui-même imposé ce générique. Peut-être voulait-il suggérer que ce journal allait évoluer dans un univers différent ? L’espace a toujours fait rêver.

Dans les années 1960-70, le vendredi soir, François Serrette avait à cœur de démontrer aux auditeurs de France Musique que Les Jeunes Français sont musiciens. Et pour préluder à chacune de ses émissions, un extrait de L’Enfant et les sortilèges de Ravel, « L’Arithmétique ». Rarement un générique suscita autant de curiosité. Seuls quelques connaisseurs l’avaient identifié et, à chaque écoute, un « qu’est-ce que ça peut-être ? » récurent trottait dans la tête de tout un chacun. Interrogé par le biais du courrier des auditeurs (impensable mais vrai, internet n’existait pas !), François Serrette donnait parfois la réponse à l’antenne, ce qui incita alors les plus curieux à vouloir connaître le chef d’œuvre ravélien dans son intégralité. Un bon générique bien ciblé peut donc avoir des vertus pédagogiques.

Premier disque Byrd des Gesualdo Six, tissé autour de la Mass for five voices

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William Byrd (c1540-1623) : Mass for five voices ; Ave Verum Corpus ; Afflicti pro peccatis ; Tristitia et anxietas ; Ave Maria ; Circumdederunt me ; Emendemus in melius ; De Lamentatione Jeremiae prophetae. Owain Park, The Gesualdo Six. Guy James, contre-ténor. Joseph Wicks, Josh Cooper, ténors. Michael Craddock, baryton. Samuel Mitchell, Owain Park, basses. Septembre 2022. Livret en anglais ; paroles en latin traduit en anglais. TT 66’13. Hyperion CDA68416

Les concertos romantiques de Carl Reinecke et Emil von Sauer

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Carl Reinecke (1824-1910) : Concerto pour piano et orchestre n° 3 en do majeur op. 144 ; Konzertstück en sol mineur op. 33. Emil von Sauer (1862-1942) : Concerto pour piano et orchestre n° 2 en do mineur op. 254. Simon Callaghan, piano ; Orchestre symphonique de Saint-Gall, direction Modestas Pitrénas. 2023. Notice en anglais, en français et en allemand. 82’ 28’’. Hyperion CDA68429.

Bach et Telemann à Bozar

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Ce samedi 18 mai, nous avons eu la chance d’entendre deux ensembles renommés dans la salle Henry Le Boeuf, le Freiburger Barockorchester et l’ensemble belge Vox Luminis. Les deux formations collaborent régulièrement à l’occasion de concerts et d'enregistrements. Ils nous ont entre autres gratifié d’un enregistrement consacré à J.S. Bach et G.P. Telemann et un consacré au Requiem de Heinrich Ignaz Franz Biber. Pour ce concert, c’est autour de la Missa brevis en fa majeur BWV 233 de Johann Sebastian Bach et Donnerode TWV 6:3 de Georg Philipp Telemann que nous les retrouvons sous la direction de Lionel Meunier.

Composée à la suite d’un terrible tremblement de terre ayant coûté la vie à environ 60 000 personnes début novembre 1755, Donnerode, L’ode au tonnerre, est une pièce vocale et instrumentale en deux mouvements (le deuxième a été composé après le succès du premier). Les textes utilisés par le compositeur allemand ont été rassemblés par Christian Gottfried Krause et Karl Wilhelm Ramler d’après des traductions des psaumes 8 et 29 de Johann Andreas Cramer. 

Images sonores, à la jonction de l’acoustique et l’électronique

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A l’avance après la visite de l’exposition Parrathon consacrée au photographe Martin Parr à l’Abbaye de Stavelot, je découvre le quartier Thier-à-Liège, enfumé par les premiers barbecues de printemps, sonorisé par les onomatopées des basketteurs en herbe, animé par ses bistrots-du-coin et je cherche le Mom, caché en plein jour derrière la porte de garage intégrée dans la vitrine de Rio Meubles (spécialité : divan-lit et relax), mais connu du gérant du Carrefour Express un peu plus haut dans la rue (qui me renseigne aimablement alors que je lui achète un cahier d’écolier quadrillé – distrait, j’ai oublié mon carnet) et adjacent au Jacques Peltzer Jazz Club (le saxophoniste-flûtiste-pharmacien du jazz belge), salle (à taille d’homme) de création et d’apprentissage, souterraine et équipée pour le travail en résidence, l’enregistrement ou le concert – bar inclus.

Rien ne s’oppose à la nuit

Titré d’après l’œuvre qui clôture le programme du jour, Nothing Stands In The Way Of Night est le troisième concert du festival images sonores, organisé chaque année par le Centre Henri Pousseur (pionnier en matière de recherche musicale) depuis 1999 : 25 ans et 7 concerts qui explorent la création musicale mixte, acoustique et électronique, principalement à Liège et durant la première moitié de mai. C’est le guitariste François Couvreur qui est à la manœuvre pendant le premier acte, qu’il entame avec le jouissif Trash Tv Trance, de Fausto Romitelli (1963-2004), le compositeur italien mangeur de lignes de démarcation et défonceur des portes de la perception, marqué par les expériences psychédéliques des années 1960 et friand de sons distordus, saturés, sales – comme ceux que Couvreur génère lorsqu’il débranche le jack de sa guitare électrique, l’approche et l’éloigne des cordes (ou en fait un plectre à câble), le rebranche et le redébranche (sans parler de l’e-bow, des pédales d’effets et autre éponge).

L’Orgelbüchlein selon Masaaki Suzuki, à l’abbaye de Grauhof

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Masaaki Suzuki plays bach Organ Works, vol. 4 & vol. 5 … orgel-büchlein (I)… orgel-büchlein (II)… Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Préludes & Fugues en la mineur BWV 543, en ut mineur BWV 549. Orgelbüchlein, chorals BWV 599-624 // Préludes & Fugues en ré majeur BWV 532, en si mineur BWV 544, en ut majeur BWV 545. Orgelbüchlein, chorals BWV 625-644. Masaaki Suzuki, orgue Treutmann de l’abbaye St. Georg de Grauhof. Livret en anglais, allemand, français. Août 2022. SACD TT 68’00 (BIS-2541) ; TT 65’38 (BIS-2661) 

Une Cenerentola scintillante d’humour à Barcelone

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Au long du XIXème siècle et une bonne partie du XXème, Rossini était considéré comme l’auteur de thèmes brillants, joyeux et au succès facile mais pas vraiment comme un grand compositeur. Les chefs rajoutaient des couches à sa subtile orchestration pour y retrouver quelque chose qui devrait sans doute rappeler les brumeuses épaisseurs wagnériennes… Il a fallu l’apport de la Fondazione Rossini à Pesaro pour dégager, de la main d’Alberto Zedda et Philip Gosset, la vérité cachée dans les manuscrits au moyen d’éditions critiques qui ont rendu à Rossini tout son mérite : les mélodies sont toujours irrésistibles, enjouées et inoubliables, mais la manière dont il traite le mélodrame ou la comédie, avec un habile jeu d’orchestration et un traitement particulier des morceaux d’ensemble qui mettent en relief la théâtralité des livrets, a marqué le chemin de l’histoire de l’opéra. Une partie non négligeable de ces manuscrits se trouve à la bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles : le fonds donné par Edmond Michotte qui fut le secrétaire personnel du compositeur et auteur de deux curieux opuscules, dont l’un parle du bel canto et l’autre relate la visite de Wagner à Rossini dans sa villa de Passy et leurs discussions sur le devenir de l’opéra.

Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris : l’ombre de Schönberg et la lumière de Mahler

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Deux œuvres qu’il était passionnant de rapprocher étaient au programme de ce concert de l’Orchestre de Paris : La Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg, et la Quatrième Symphonie de Gustav Mahler.

Toutes deux écrites en 1899 (en tout cas dans sa version originale pour la première, et même si la partie finale de la seconde a été commencée dès 1892), elles proviennent néanmoins de compositeurs qui ne sont pas de la même génération, aux esthétiques très différentes.

Quand il a écrit La Nuit transfigurée, Schönberg avait vingt-cinq ans, et s’il y transgresse déjà quelques règles harmoniques, cette œuvre appartient encore au romantisme finissant. Il composera encore pendant un demi-siècle, pendant lequel il va bouleverser la tonalité. Voilà donc une œuvre en quelque sorte à part dans la production de ce compositeur.

Mahler, qui s’est principalement exprimé d’une part par ses symphonies, d’autre part par ses mélodies avec orchestre, a écrit sa Quatrième Symphonie au passage de la quarantaine. Il vivra encore une dizaine d’années, qui verront naître encore cinq symphonies, mais dans un langage relativement proche. Ce que celle-ci a de particulier, toutefois, c’est sa légèreté (au moins apparente), ses références à l’enfance, la transparence de son orchestration, et sa durée moindre. En un mot : sa simplicité.

Si La Nuit transfigurée a été composée pour sextuor à cordes (deux violons, deux altos et deux violoncelles), Schönberg l’a transcrite pour orchestre à cordes en 1917 puis révisée en 1943. C’est cette dernière version qui a été jouée ici, avec un effectif pour le moins généreux : 16 premiers violons, 14 seconds violons, 12 altos, 12 violoncelles et 8 contrebasses (au passage, il faut souligner la pure beauté des solos du premier violon invité, Petteri Livonen, notamment dans ses échanges avec l’altiste David Gaillard). Pour autant, et sans gommer les effets tels que pizz arrachés ou archet sur le chevalet, Klaus Mäkelä parvient à obtenir des textures aérées, et beaucoup de souplesse de la part des musiciens.